René Morin

Né dans une famille qu’il aimait qualifier d’européenne avec une mère italienne et un père français, René Morin obtient le feu vert familial pour suivre des études artistiques, à condition de se former à un « vrai métier ». C’est chose faite en 1956, à 24 ans, avec le CAP de bijoutier-joaillier qui s’ajoute au diplôme des beaux-arts de Lyon, section sculpture. Murat, le joaillier chez lequel il fait son apprentissage, voit son potentiel et le pousse à tenter sa chance à Paris, où René Morin s’installe en 1957. Très vite, il se lie avec la bande d’artistes de la galeriste Iris Clert, Arman, César, Christo et Yves Klein, qui devient un ami.

Fréquenter l’avant-garde ne l’éloigne pas pour autant de ses premières amours, la Renaissance et la qualité d’exécution de ses réalisations. Marcel Chaumet ne s’y trompe pas lorsqu’il l’engage en 1962. À tout juste 30 ans, le voilà responsable de la création d’une Maison de 182 ans – il le restera durant vingt-cinq ans.

Découverts par hasard dans une commode, des blocs de lapis-lazuli donnent naissance à des premiers bijoux d’une rare modernité, broche et clip licorne à crinière d’or et de turquoise. Se considérant comme un artisan – le terme de créateur lui déplaît –, René Morin n’en est pas moins un formidable directeur artistique. D’un coup de crayon enlevé, ses idées fusent, à charge pour la dizaine de dessinateurs du studio de les traduire, de préférence avec diligence. Idem avec l’atelier dont les artisans apprécient sa parfaite connaissance du métier.

Des collections annuelles thématiques, châteaux de Windsor à Combourg, bateaux ou coiffes de militaires britanniques – avec voyage à Londres pour se documenter – aux colliers panthère, serpent ou canard, sa créativité est infinie. Les animaux sont souvent conviés – à l’image de Mitsou, le siamois du concierge de l’hôtel particulier du 12, place Vendôme que René Morin laisse boire l’eau de ses pinceaux. Lorsqu’il est question d’utiliser le groisil de Baccarat, ces blocs de cristal extraits des fonds de pot, René Morin imagine un Bestiaire fabuleux avec panthère, bélier, cheval, lynx, renard… soit 37 animaux en cristal brut réhaussé de becs, cornes ou museaux en vermeil.

Cette liberté créative s’exprime aussi à L’Arcade, un magasin d’un genre nouveau, entre galerie de bijoux et concept-store avant l’heure. Du jamais vu sur la place Vendôme. En son honneur, René Morin ose cinq parures aux volumes XXL ciselés dans l’or jaune texturé « poli Arcade » : collier point d’interrogation revisité en liane, boucles d’oreilles dignes de Star Trek, bouquet floral futuriste.

Présentée en décembre 1970 à la presse, la collection fait l’unanimité. « Pour lui, le bijou était une parure qui devait mettre les femmes en valeur », souligne sa femme, Annick Morin, dont la famille, par un clin d’œil du destin, est apparentée à Ferdinand Nitot, le petit-fils du fondateur de la Maison.

En 1977, René Morin imagine la collection Liens d’Or, un double fil d’or creux habillé d’une agrafe, proposé en collier, bracelet, clips d’oreilles et bague.

« Il se rendait compte que le bijou prenait une autre tournure, ce qui rendait nécessaire d’avoir une ligne déclinable. – “Il faut que je trouve quelque chose”, répétait-il. – Ce nouveau défi l’amusait beaucoup », se rappelle sa fille, Diane.

Cinquante ans plus tard, la collection figure toujours dans les collections emblématiques de Chaumet.

Grand connaisseur des pierres, puisque gemmologue et membre de la Chambre syndicale des experts professionnels des objets d’art, René Morin est fasciné par les diamants de Golconde. Ce qui ne l’empêche pas de se concentrer davantage sur l’esthétique que sur la valeur des minéraux.

Les Pierres d’Or naissent ainsi d’une réflexion sur l’insécurité à New York, d’où l’idée de remplacer la pierre de centre par un cartouche en or 24 carats, le motif étant inspiré des blasons figurant au fronton des immeubles parisiens. Monté sur un cordon de soie interchangeable ou un collier d’or ou de perles, serti de rubis, d’émeraudes ou de saphirs cabochon, le bijou se décline aussi en bagues et clips d’oreilles qui rejoignent les bestsellers de la Maison.

Curieux de tout, René Morin adore chiner – sa garde rapprochée compte d’ailleurs plusieurs antiquaires. Amateur de tabatières, de tsubas, soit la garde d’une arme japonaise, deux thématiques qui donneront lieu à une exposition à L’Arcade, il achète aussi volontiers des gravures anciennes, telles que ce lot de 300 Jean Lepautre, ou encore des pièces d’orfèvrerie.

En 1984, ce goût des beaux objets engendre la collection Nouveaux Regards. Soit de superbes dialogues entre des fragments d’œuvres millénaires chinés ici et là, tels qu’un couvercle d’un vase canope de l’époque Saïte, une tête de bélier de la Perse achéménide, une anse d’œnochoé, ce pichet de la Grèce antique, ou des chiens Fô, et la vision artistique de René Morin.

Les créations de René Morin illustrent aussi un humour pince-sans-rire empreint de poésie : petite souris laquée vert pomme grignotant un sucre serti de diamants qui n’est autre qu’une pendule, collier téléphone, femme dans son bain à mousse de diamants ou encore navette spatiale multi-usages, montre, calculatrice, porte-stylos…

Artiste pluriel, René Morin a su instaurer un compagnonnage entre le bijou et l’architecture qui n’est pas sans rappeler cette réflexion de René Brandt :