Être Moderne

Passé. Présent. Futur. La modernité se moque bien des époques. Elle les convie toutes à la fois. C’est ainsi qu’une plongée dans les archives autour des années 1970 de la Maison Chaumet a permis d’en appréhender l’essence même.

Sa modernité, ou plutôt ses modernités, se révèlent à travers des découvertes surprenantes. Qu’une maison de Haute Joaillerie historique comme Chaumet ait été à la pointe de l’innovation créative dans une période aussi extravagante que les années 1970 peut surprendre.

Dans un contexte particulièrement prompt aux révolutions culturelles de toutes sortes, le foisonnement d’idées nouvelles a rendu les choses parfois un peu confuses et inaudibles. Il faut, pour en comprendre sa substance, retourner au contexte réel.

Le monde des années 1970 est un univers d’expérimentations et de libertés : musique, politique, mode, idéaux, conquête spatiale, tout aura été matière à expériences. Pour s’ouvrir au renouveau et s’aventurer hors des sentiers battus, il aura fallu de nouveaux noms, de nouvelles mains, de nouveaux esprits ouvrant la route vers l’innovation totale. L’histoire du bijou, qui remonte à l’Antiquité, est parsemée de ces esprits qui ont marqué des étapes cruciales grâce à des avancées techniques, de nouvelles esthétiques ou des concepts libres.

Comment retracer le chemin et la place de Chaumet dans cette époque si riche ?

Il aura suffi d’une paire d’ornements d’oreilles, en or texturé, qui s’enroulent derrière l’oreille pour faire saillir des projections d’or sur le visage. La radicalité de ce bijou s’inscrit dans la première collection L’Arcade de la Maison, en 1970. Tout à la fois collection et magasin, L’Arcade impose dès ses débuts un souffle d’innovation, en parallèle de l’excellence joaillière de Chaumet.

Ce tournant entre les années 1960 et 1970 est celui de tous les possibles et la Maison y plonge entièrement.

L’expérience de L’Arcade s’inscrit dans un espace temporel inédit, du modernisme jusqu’au postmodernisme. Grâce à des créateurs extraordinaires d’inventivité, comme René Morin, Chaumet s’offre une deuxième vie, un deuxième magasin, une deuxième image. La place Vendôme en est secouée de modernité, le nouvel écrin est futuriste et s’adresse à un public qui réclame une liberté créative et exaltée. L’Arcade propose des bijoux aux allures inédites, où le métal, central, prend vie, et où la hiérarchie des pierres a volé en éclat.

Les formes sont radicales, jamais vues auparavant, très en avance sur leur temps. Les couleurs sont vives, tranchées, affirmées. Les portés sont uniques. Les bijoux sont traités comme des œuvres d’art – certains d’entre eux sont même exposés à la Biennale des antiquaires – et les objets de décoration se prennent pour des joyaux.

À ce sujet, Helen O’Hagan évoque les pièces du Bestiaire fabuleux comme des « chefs-d'œuvre contemporains » et déclare que ces « primitifs civilisés, avec leurs textures étonnantes semblables à des pépites, sont des merveilles du XXe siècle ».

L’excellence du savoir-faire joaillier de la Maison n’est pas en reste et est mis au service d’un travail exceptionnel sur le métal, auquel Chaumet rend ses lettres de noblesse.

L’expérimentation est au cœur de cette démarche : la liberté de création est totale, tant au studio de dessin qu’à l’atelier, à tel point que les artisans s’approprient le principe de l’or sauvage qu’ils rebaptisent « poli Arcade ». L’or est martelé, poli, texturé, brossé, il prend des formes organiques, il se moule sur la peau, mais il n’est pas seul.

Le travail sur le bronze mérite également une étude approfondie, avec ses patines, ses formes voluptueuses et son éclat si différent.

Les pierres dures offrent une nouvelle palette. Le lapis-lazuli, la malachite ou encore l’œil-de-tigre se prêtent à l’exercice de la gravure et de la mise en forme. Rarement auparavant la couleur aura joué un rôle aussi important dans le dessin créatif.

Regarder les bijoux rassemblés pour Un Âge d’Or un demi-siècle après leur création, c’est comprendre en un instant leur impact et leur influence sur la grande histoire de la joaillerie. Les remettre dans leur contexte social, artistique et culturel, c’est mettre en évidence leur absolue modernité.

Les découvertes seront multiples, les surprises changeront votre regard sur la Maison. Capturer son époque de façon aussi précise tout en réussissant le tour de force d’avoir créé des bijoux à la puissance esthétique intemporelle, c’est certainement ce qui fait le cœur de cette exposition. La continuité dans l’excellence, les bijoux d’hier qui parlent aux bijoux d’aujourd’hui. L’essence même de la modernité absolue au service de l’art du bijou.